Regards à l'oeuvre

02.01.2016

La rue aux fenêtres ouvertes


Dans les tiroirs à ranger des fins d'année, j'ai repêché quelques photos d'une rue de Ljubljana, prises en avril 2014 lors de mon grand voyage vers l'Asie. La Rue aux fenêtres ouvertes. Le choc subtil de ces papillons de bois blanc, accrochés aux murs délavés rose et vert de la capitale slovène, réussit encore à me dilater les poumons. Ai piétiné longtemps le long de ces façades, malgré la gêne ressentie sous le regard interrogatif des passants. Je cherchais, j'attendais quelque chose, un événement, une nuance, un angle de vue susceptible de capter le mystérieux je ne sais quoi qui m'y retenait.

Bien sûr le jeu des lignes, bien sûr les ombres dédoublées dans les carreaux, bien sûr le solaire dessin d'enfant comme tapis au vent, bien sûr le geste de la jeune femme, surgie soudain des profondeurs d'un appartement silencieux avec son i-phone blanc, attirée peut-être par le ballet orange des apérols dans les mains de quelques hommes en bleu vernissant une exposition au sommet de la rue. Bien sûr l'irrésistible séduction de l'imaginaire suspendu dans toute forme accomplie... Mais encore ?

Il m'a fallu plus d'une année et ce récent voyage en Birmanie en compagnie d'un enseignant de la méditation de pleine conscience pour prendre le temps de questionner ce qui me poussait à « dégainer » l'appareil de photo. La belle composition du réel ? Un événement insolite ? Le souci de documenter le vu ? Pas vraiment ou pas seulement.

L'émotion. L'émotion ressentie devant certains « spectacles » offerts par le cours de la vie et qui éveillent immédiatement en moi un sentiment de communication, de participation instantanée et profonde à ce que je vois. Dans mon clic, mon cadrage, ma mise au point, c'est bien ce sentiment d'appartenance au monde que je cherche à rendre, en quelque sorte, éternel. Un bonheur inusable, parce qu'à nouveau disponible sur l'écran, tandis que le « spectacle » original, source de l'émotion déclenchante, s'est depuis longtemps défait dans le flux du temps et de l'espace.

Le travail aventureux, et quelquefois aléatoire, d'exploration du motif prend alors tout son sens. A la recherche de l'élément-clé qui, dans le « spectacle », a provoqué son émotion, celui qui photographie se déplace, tourne autour du sujet, essaie plusieurs prises. Comment, avec quelle lumière, quelles lignes, quelles couleurs, quel point de vue, ressuciter cette douceur, cette effervescence, cette plénitude... qui nous remuent et suscitent ce puissant sentiment d'adhésion à l'univers?

J'étale mes photos de la Rue aux fenêtres ouvertes. Et je vois enfin ce que maladroitement je cherchais dans les bras ouverts de toutes ces fenêtres blanches, obstinément, obscurémment, cadrées en diagonale ascendante. L'accueil. Généreux, lumineux. Pour une voyageuse aux premiers jours d'un périple de 3 mois et demi qui allait me faire traverser deux fois le continent asiatique, c'était plus qu'encourageant. Nécessaire.

Marie Morand, janvier 2016



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