Regards à l'oeuvre
01.07.2021
Regards à l'oeuvre: l'heure bleue des mages de Valère
J'ai reçu il y a peu cette photo prise en fin de journée sous le ciel d'Ivrea où « Dorveau Z », le cheval gris pommelé de ma belle-fille, est devenu « bleu ». Dans cette lumière vacillante, l’herbe verte et l'or du couchant se sont aussi transformés. Le noir du harnais a déjà viré au violet. Tout est vibrant, comme en mouvement.
Ce surprenant phénomène lumineux m'a instantanément fait songer aux chevaux bleus de certaines enluminures et tapisseries du Moyen Age. Les artistes de cette époque font la part belle aux animaux et le cheval est leur favori. Il contribue si bien à rythmer leurs scènes de batailles, leurs parties de chasse ou encore les cortèges des mages.
C'est bien sûr le cas de la somptueuse et complexe Adoration des mages, que l'on peut admirer sur le mur latéral gauche du choeur de la basilique de Valère à Sion, à la restauration de laquelle j'ai eu l'honneur et le plaisir de contribuer. Peinte vraissemblablement vers 1439 par un artiste venu de la région du Haut-Rhin, elle déroule, dans la partie droite du tableau, une procession en deux temps, promenant une profusion de chevaux blancs, ocre rouge et bleus qui cheminent avec leurs cavaliers à travers villes et campagnes. Leur cavalcade suscite un mouvement qui fait frémir toute la scène et, quand les riches cavaliers déboulent en masse à proximité de l'étable où le divin enfant est né, une atmosphère d'effervescence les accompagne.
A l’instar de la couleur de robe crépusculaire de Dorveau Z, les chevaux au pelage gris pommelé sont représentés en bleu sur ce panneau. L’artiste rhénan les a colorés avec de l’azurite. Ce pigment, dont la tonalité s’intensifie selon la qualité du broyage, peut varier du céleste à l’outremer. Aujourd’hui encore, l’éclat minéral de l’azurite broyée finement reste intact sur la couche picturale de ce tableau séduisant. Le cheval pommelé continue ainsi de jouer son atout étincelant au milieu de la mêlée blanche et ocre rouge de ses congénères. C’est lui aussi que le peintre campe de travers et de dos pour suggérer un semblant de vue perspective dans ce joyeux entrelacement
Ce merveilleux panneau peint sur bois était installé à l’origine sur le maître-autel de la basilique. A cet endroit, contrairement à aujourd'hui, le cortège des mages reposait dans une sorte de lumière plus ou moins fixe et légèrement « bleutée ». Mais il en allait tout autrement dès que les bougies s’allumaient autour de lui lors des cérémonies. Leurs flammes vacillantes devaient ébranler le convoi et redonner à l’ensemble l’illusion d’une puissante cavalcade bigarrée escortée par deux petits chiens furetant au pied des chevaux, un brunet et un blanc tacheté roux, où les chevaux bleus devaient jouer encore mieux leur rôle de point focal.
La lumière, le grand outil des peintres et le subtil secret pour voir vraiment une oeuvre d'art!
Gisèle Carron
Archives
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