Regards à l'oeuvre

31.12.2023

Regards à l'oeuvre: Le masque de la Roche-Cotard


C'était samedi soir 4 novembre sur Arte. Une mini série sur Homo Sapiens. Depuis, je n'arrive pas à décrocher l'image de cette petite sculpture de ma tête. Un bloc de silex de la blondeur beige rosé si caractéristique de cette pierre qui luit doucement et se patine sous vos doigts quand vous la tenez en main. Forme trapézoïdale, 9,8 cm de haut sur 10,5 de large, avec une proéminente arête centrale percée d'un conduit reliant deux cavités latérales. Jusque-là rien que de naturel. Mais voilà qu'un fragment d'os traverse par en-dessous cette arête devenue pont. Marquer les yeux. Et le caillou devient oeuvre.

Le paléontologue Jean Claude Marquet découvre la pièce en 1975 dans un remblai en contrebas de l'entrée de la grotte, aux abords d'un foyer, parmi des esquilles d'os, des racloirs, des couteaux et des éclats de silex. Dans le film, il raconte son émotion au prélèvement du bloc et on suit avec intérêt toutes les analyses scientifiques qui ont été nécessaires pendant des années pour valider la réalité de la démarche artistique et dater la pièce.

Le point cardinal c'est bien sûr le fragment d'os inséré. "L'esquille a été volontairement bloquée à l'intérieur du conduit grâce à deux petites plaquettes siliceuses qui ont été interposées, du côté gauche, entre l'esquille et le bloc ; l'une de ces plaquettes est située immédiatement sous l'esquille, l'autre a été placée entre la première et le bloc assurant ainsi une solidarité complète de l'ensemble. Cette intention délibérée de l'homme est d'ailleurs confortée par le fait que l'esquille ainsi soumise à une force assez grande et bloquée sous le pont rocheux subit un certain cintrage avec une flèche légère mais cependant bien visible. Le blocage de l'esquille à l'aide de ces deux petites plaquettes ainsi que la forme en biseau, à son extrémité droite, nous incite à penser que l'esquille osseuse a été enfoncée à partir du côté gauche du conduit, vers la droite". Ensuite le bloc a été retouché pour parfaire la ressemblance avec un visage humain. "Le front (régularisé ...), le nez arrêté à son extrémité par un enlèvement intentionnel, les joues localement rectifiées, sont évidents ; la bouche, moins nette, pourrait être indiquée par une encoche naturelle à la base, dans la partie étroite du trapèze." Les retouches (en grisé) sont indiquées par des flèches sur le dessin ci-dessous:

Regards à l'oeuvre 2023: Masque néandertalien de la Roche-Cotard

Marquet Jean Claude, Lorblanchet Michel. Le "masque" moustérien de la Roche-Cotard, Langeais (Indre-et-Loire) / The mousterian "mask" of La Roche-Cotard site, Langeais (Indre-et-Loire). In: Paléo. N. 12, 2000. pp. 325-338.

Et la date? -70'000 environ. Coup de tonnerre dans un ciel serein! Le ciel de ce que l'on croyait dur comme fer n'appartenir qu'à Homo Sapiens: la pratique artistique. Or, Sapiens n'arrive en Europe que vers -45'000 au plus tôt et les grottes peintes sont plus "jeunes" encore. Donc, donc, cette merveille de sculpture ingénieuse, aménagée à partir d'un caillou un peu particulier, appartient au Néandertal que l'on disait si "rustique".

Je regarde inlassablement cette figure aux lourdes paupières d'os, pudiquement baissées sur un intérieur qui garde son mystère. Une forme simple et puissante qui amène à ma mémoire certains masques africains, ou les visages de bronze de Brancusi et les portraits, yeux opaques ouverts sur l'insondable, d'Amedeo Modigliani.

J'aime ce constat que l'art nous accompagne depuis très longtemps. "L'art? sans doute la meilleure part de notre humanité" comme disait le commentateur dans le film. Cultivons-la!

Belle et bonne journée.

Marie Morand



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